Fiction rédemptrice

« Comment un écrivain peut-il se racheter, alors que, doué du pouvoir absolu de décider de la fin, il est également Dieu ? »

Expiation, Ian McEwan, 2001.

Comment parler d’Expiation, chef d’œuvre du grand Ian McEwan ? Sublime et romanesque, le roman peut se vanter d’une belle histoire, de personnages tout en reliefs et d’une plume à couper le souffle. Scindé en quatre parties, Expiation se résume en deux grandes temporalités : avant et après le drame. On suit d’abord Briony, apprentie romancière âgée de treize ans. Le temps d’une journée lentement déroulée, elle va faire basculer plusieurs vies, rendant coupable par son manque d’expérience le jeune Robbie d’un viol qu’il n’a pas commis. Spectatrice malgré elle de scènes qu’elle ne comprend pas, Briony accuse sans savoir et, dans la tradition de la bonne société de 1935, sa famille acquiesce sans un mot et s’empare du coupable pour enterrer les faits. Après avoir scruté le drame sous tous les angles, Ian McEwan accélère : on se retrouve cinq ans plus tard, entre Robbie, troufion dans le chaos français de 1940, et Briony, infirmière poursuivie par le fantôme de sa culpabilité, soignant les soldats comme pour y trouver rédemption…

Peut-on pardonner une erreur de jeunesse, malgré ses effroyables conséquences ? Ian McEwan plonge dans la psychologie d’une enfant qu’on a tour à tour envie de gifler et de prendre dans ses bras. Dans la confusion de la découverte d’un monde sexualisé qu’elle ne connaissait pas, Briony a fait un pas en avant et n’a plus jamais eu le courage de rebrousser chemin. C’est la Seconde Guerre mondiale qui lui fera prendre conscience de la gravité de ses actes. La guerre est un gâchis. Gâchis de vies brisées dans lequel Briony se retrouve : en brisant deux vies (celle de Robbie et celle de sa grande sœur, Cecilia, amoureuse du jeune homme), elle a piétiné la sienne. Expiation est moins une histoire d’amour tragique que la frustrante description d’un sacré gâchis.

« Il devait bien exister quelque haut lieu, quelque Olympe depuis lequel tous les gens étaient jugés sur un pied d’égalité, non pas confrontés les uns aux autres comme dans un match de hockey qui se poursuivrait à longueur de vie, mais observés dans leur glorieuse imperfection. Si un tel lieu existait, elle ne le méritait pas. »

À travers la pénitence du personnage et cette guerre sans queue ni tête, Ian McEwan s’interroge sur le pouvoir de la fiction. En faisant grandir Briony, il modifie le regard qu’elle porte sur l’écriture : celle qui, du haut de ses treize ans, souhaitait utiliser les mots pour séparer le bien du mal et faire la morale aux Hommes, se retrouve bien embêtée lorsque, adulte, elle doit les utiliser pour expier son propre crime. Où est le vrai du faux ? En inventant des histoires, n’écrit-on pas l’Histoire ? Ian McEwan se sort d’Expiation sans une écorchure, usant d’une pirouette inattendue qui boucle la boucle d’une psychologie des personnages brillamment maîtrisée.

Expiation a fait l’objet d’une jolie adaptation, en 2007, par Joe Wright, qui avait déjà embauché Keira Knightley dans le sublime Orgueil & Préjugés (2005) et la réutilisera dans l’original Anna Karenine (2012). L’écrivain reste maître de son histoire, prenant en main le scénario d’un film à la photographie parfaite, aux acteurs très justes… Mais à l’intrigue amoureuse bien trop prégnante pour ne pas être un tantinet agaçante, éludant l’extrême tendresse de McEwan envers ses personnages. Dommage.

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