Mes coups de cœur 2020

Chaque année au mois de janvier, je publie mes coups de cœur et m’auto-flagelle du peu de livres lus. Mais pas cette année. Non pas qu’un quelconque objectif soit atteint, mais je pense qu’il est temps d’être indulgents envers nous-mêmes et d’arrêter de courir sans cesse derrière la performance. Après une rude année 2020, je peux dire que 43 ouvrages ont suivi mon quotidien. Neuf m’ont particulièrement marqués : trois français, un danois, un espagnol, trois britanniques et un italien. C’est parti !

19 tonnes, Thierry Vimal, 2019

Il existe des livres qui font mal, mais qu’il est nécessaire d’ouvrir. 19 tonnes est de ceux-là. L’écrivain, Thierry Vimal, revient sur la mort d’Amie, sa fille de treize ans percutée par un camion conduit par un terroriste, le 14 juillet 2016 à Nice. Le livre expose les faits (l’attentat, l’enterrement, les difficiles phases du deuil) mais surtout les émotions tranchantes auxquelles un père meurtri peut être confronté. Pas de fard, pas de tabou : 19 tonnes est autant une catharsis pour l’auteur qu’un fort message d’espoir pour le lecteur : l’acceptation d’un après qui, s’il ne sera toujours qu’un après, doit exister sans haine. « Le froid de l’hiver proche est entré dans la maison, les beaux jours sont scellés, ils s’éloignent sur le fleuve du temps où flottent aussi ma puce, sa mort et sa beauté — terminé l’été 2016, et jamais ne reviendra. » À couper le souffle.

La Ferme africaine, Karen Blixen, 1937

Karen Blixen est un femme incroyable qui a eu une vie rocambolesque. Elle en raconte une partie dans La Ferme africaine, qui donnera en 1985 une adaptation sublime (Out of Africa, de Sydney Pollack, avec Robert Redford et Meryl Streep). Partie cultiver le café avec son mari, la Danoise tombe amoureuse du Kenya et de sa belle vallée du Ngong. Si certaines idées font aujourd’hui grincer des dents (une espèce de racisme bienveillant malsain, une vision très colonialiste du Kenya et une passion pour la chasse au lion), l’indépendance de l’autrice est un véritable vent de fraîcheur féministe. « Lorsque mon cœur évoque l’Afrique, je revois les girafes au clair de lune, les champs labourés, les face luisantes de sueur pendant la cueillette du café. L’Afrique se souvient-elle encore de moi ? Est-ce que l’air vibre sur la plaine en reflétant une couleur que je portais ? »

Le Chuchoteur, Donato Carrisi, 2009

Un page-turner diabolique : voilà comment décrire Le Chuchoteur, premier roman d’une série de polars mettant en avant l’enquêtrice Mila Vasquez. Donato Carrisi parvient à amener le lecteur n’importe où, y compris dans les méandres d’une histoire complètement tirée par les cheveux. On y croit, on y croit jusqu’au bout, suivant un groupe de flics débordés par une enquête improbable : cinq petites filles disparues, cinq fosses creusées, cinq membres à l’intérieur… Et cinq assassins différents. « Je viens de l’obscurité. Et de temps en temps, je dois retourner à l’obscurité. » Il me tarde de découvrir la suite, qui s’annonce aussi noire que ce Chuchoteur merveilleusement bien ficelé.

Trilogie À la croisée des mondes, Philip Pullman, 1995-2000

Quelle relecture fabuleuse ! Romans jeunesse, Les Royaumes du Nord, La Tour des anges et Le Miroir d’ambre se lisent à l’âge adulte avec une toute autre attention. Dans ce monde de daemons, de sorcières et d’ours en armure, la jeune Lyra part à l’aventure, d’abord pour sauver son meilleur ami, puis pour sauver son monde, et enfin… l’univers tout entier. Philipp Pullman fustige l’obscurantisme avant de s’attaquer frontalement à l’Église et à la religion toute entière. « Depuis toujours, la sagesse a été obligée d’œuvrer en secret, de s’exprimer à voix basse, de se déplacer comme une espionne dans les endroits les plus humbles, alors que ses ennemis occupaient les palais et les tours. » Sans jamais prendre les enfants pour des imbéciles, Pullman met en garde contre l’asservissement et prône la science, la sagesse et le libre-arbitre. Une trilogie sans fausse note.

La Terre qui penche, Carole Martinez, 2015

Après avoir dévoré Le Cœur cousu, j’avais peur d’en attendre trop de Carole Martinez. Avec La Terre qui penche, elle ne m’a pourtant pas déçue, loin de là ! Véritable conte (avec ses fantômes, ses loups, ses ogres), le roman mêle horreur et beauté en contant l’histoire de la petite Blanche, délaissée à l’âge de onze ans par son père qui souhaite la faire marier. Blanche découvre un royaume merveilleux. Elle apprend seule à lire, à écrire, et découvre les étranges créatures qui se promènent en ces lieux, à commencer par une rivière aux accès de colère meurtriers. Comme Le Cœur cousu, l’autrice déroule une puissante histoire d’émancipation féminine. « Qui mieux que Dieu peut légitimer un pouvoir temporel ? Que Dieu soit muet arrange bien les choses. »

Chronique d’une mort annoncée, Gabriel Garcia Marquez, 1981

Les frères Vicario l’ont annoncé à plusieurs reprises, et tout le village est au courant : ils veulent assassiner Santiago Nasar. Malgré les nombreuses alertes, le meurtre aura bien lieu. Pourquoi personne ne l’a empêché ? « Je pensais à la férocité du destin de Santiago Nasar, qui lui avait ravi vingt ans de bonheur non seulement en lui ôtant la vie mais en le découpant, en l’éparpillant, en le réduisant à rien du tout. » Fable grinçante, Chronique d’une mort annoncée m’a beaucoup surprise : je ne pensais pas que j’allais autant aimer ! S’il ne semble pas parler de grand-chose au premier abord, le roman évoque avec finesse l’étrange (et fort malléable) notion d’honneur, la religion encrassée, la fatalité. Gabriel Garcia Marquez offre des personnages drôles et émouvants, brisant en deux phrases les cultures et mœurs qui nous entravent.

Le Vol du faucon, Daphné du Maurier, 1965

Je vous en parlais en mai : malgré quelques (rares) critiques, souvent négatives, difficile de trouver quoi que ce soit sur Le Vol du faucon, de l’incroyable Daphné du Maurier. Et pourtant : je suis tombée sous le charme de l’ambiance de ce roman, entre farniente italienne et tension digne d’un grand polar. Armino, guide pour touristes très apathique (et souvent agaçant) croise une mendiante assassinée dont il reconnaît le visage. Il décide alors de retourner dans le village de son enfance, Ruffano, pour faire face à ses démons. « Comme le terreau de feuilles mortes, le sang versé fertilise le sol et engendre de nouvelles luttes. » Le Vol du faucon est un beau conte initiatique où le personnage principal retrouve ses racines et découvre le passé d’une ville sanglante. Daphné du Maurier aborde le thème intéressant de la manipulation et des relations toxiques.

La Montée des eaux, Thomas B. Reverdy, 2003

Thomas B. Reverdy possède une plume poétique absolument hypnotique : des phrases rythmées comme des gouttes d’eau. Après être tombée amoureuse des Évaporés (2013), avoir adoré Il était une ville (2015) et avoir été déçue par L’Hiver du mécontentement (2018), j’ai plongé dans La Montée des eaux, son tout premier roman (2003) : un court ouvrage traitant avec finesse du deuil, de l’attente et de la mélancolie. « Sa mémoire s’efface à mesure qu’il essaie d’en dégager les décombres. Son enfance, une ruine. Et, comme une longue gueule de bois, l’hiver qui l’a recouvert de cendres sans qu’il puisse dire, précisément, comment s’est arrivé. » Un livre à lire en hiver, sous un plaid chaud, pour se laisser aller à rêvasser entre deux phrases dont on ne sait pourquoi elles nous rendent si tristes.

Expiation, Ian McEwan, 2001

« Comment un écrivain peut-il se racheter, alors que, doué du pouvoir absolu de décider de la fin, il est également Dieu ? » Influencés par l’image donnée par l’adaptation de Joe Wright, on réduit trop souvent Expiation, chef d’œuvre d’Ian McEwan, à une histoire d’amour. Et pourtant : l’écrivain traite de rédemption, de pardon et surtout du pouvoir de l’écriture. Après avoir suivi la jeune Briony dans ses fantasmes littéraires, on observe impuissant sa méprise : la petite fille se croyant grande brise la vie d’un couple en devenir. Cinq ans plus tard, Ian McEwan fait s’entrechoquer la culpabilité d’une Briony devenue grande avec les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Expiation est un livre romanesque magnifique, qui m’a laissée le cœur brisé. De la très, très grande littérature.

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