Quatre visages pour une Amérique

« Si c’était cela l’effet qu’un roman pouvait provoquer dans le cœur, l’esprit et la vision la plus intime qu’on pouvait avoir du monde, alors écrire des romans était la meilleure chose qu’on puisse faire dans la vie. »

4 3 2 1, Paul Auster, 2017.

Qui est Archie Ferguson ? Ou plutôt, qui sera-t-il ? Quatre scénarios, quatre destinées pour un seul personnage : avec le volumineux 4 3 2 1, Paul Auster égrène quatre vies qu’un simple événement, grain de sable dans les rouages, a considérablement chamboulées. Archie grandit entre sa mère photographe et son père responsable d’un magasin. Il y a la tante Mildred, les oncles fainéants. Et puis arrive un acte malveillant et l’extravagance d’un roman qui décide de ne pas choisir la vie que vivra Archie après cela. 4 3 2 1, ce sont ces hasards, ces choix que l’ont fait sans s’en rendre compte. Et si Archie perdait son père ? Et s’il le détestait ? Et s’il changeait d’études ? Et s’il quittait sa petite amie ? Paul Auster se pose en observateur : un même homme, de même appartenance sociale et religieuse, avec les mêmes parents, peut-il changer drastiquement ? Qu’est-ce qui est inné, qu’est-ce qui est acquis ?

Avec une agilité de funambule, Paul Auster déroule dans 4 3 2 1 l’histoire d’un homme, mais surtout d’un pays : les États-Unis, de la fin de la Seconde guerre mondiale à l’assassinat de Kennedy en passant par la lutte des Noirs, l’émancipation des femmes, les guerres de Corée et du Vietnam, mai 68… Différents Archie Ferguson vivent les mêmes événements, traversant une époque aux multiples facettes. 4 3 2 1, sans doute le roman le plus ambitieux d’Auster, se transforme en une grandiose fresque américaine, coup de rétro bienvenu pour appréhender les événements actuels.

« Le temps se déplaçait dans deux directions parce que chaque pas dans l’avenir emportait avec lui un souvenir du passé, et même si Ferguson n’avait pas encore quinze ans, il avait déjà assez de souvenirs pour savoir que le monde qui l’entourait était façonné par celui qu’il portait en lui, tout comme l’expérience que chacun avait du monde était façonnée par ses souvenirs personnels, et si tous les gens étaient liés par l’espace commun qu’ils partageaient, leurs voyages à travers le temps étaient tous différents, ce qui signifiait que chacun vivait dans un monde légèrement différent de celui des autres. La question était de savoir dans quel monde vivait Ferguson aujourd’hui et de quelle façon ce monde avait changé. »

4 3 2 1 synthétise en plus de mille pages les obsessions de son auteur. Du sport (baseball, basketball) à la bien aimée New York, le roman déroule ce qui s’immisçait déjà dans Moon Palace ou la Trilogie new-yorkaise. Les thèmes du sexe, de l’identité, de la culture sous toutes ses formes, du hasard et des choix s’entrechoquent d’autant plus qu’ils glissent autour des différentes variations du protagoniste. Tout bouge et le moindre détail provoque des tsunamis. Tout bouge, oui, sauf les mots et leur pouvoir, encensés par Paul Auster dans une véritable lettre d’amour à la littérature de fiction.

Je dois en partie mon goût prononcé de la lecture à Paul Auster (merci Mr Vertigo, lu lorsque j’étais au collège), et ses thèmes de prédilections en seraient presque devenus les miens. Si 4 3 2 1 est une œuvre lourde et parfois indigeste avec de très grandes digressions, elle va plus loin que tout ce qu’il a écrit auparavant : vous voulez comprendre les États-Unis du XXe siècle ? Peu importe que vous décidiez de prendre un crayon et du papier pour suivre méticuleusement les variations de Ferguson, ou de vous laisser emporter pour retomber sur vos pattes naturellement : il faut lire le chef d’œuvre qu’est 4 3 2 1. Qui sait : à suivre les vies et choix d’Archie Ferguson, vous pourriez en découvrir un peu plus sur vous-même…

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