De désirs en violences

« Aussi ne saura-t-il jamais comme je l’aime ; et cela, non parce qu’il est beau, Nelly, mais parce qu’il est plus moi-même que je ne le suis. »

Les Hauts de Hurlevent, Emily Brontë, 1847.

Fanatique que je suis des auteurs du XIXe siècle, il m’aura fallu un temps fou pour me pencher sur Les Hauts de Hurlevent. Prêté par ma mère lorsque j’avais une douzaine d’années, dans son ancienne traduction, Hurlevent des Monts, j’avais commencé à le lire avant de l’abandonner à la poussière de son étagère. Trop classique, trop « vieux ». L’adolescence, quoi. Têtue comme une ânesse, ma mère me l’offrit à nouveau alors que j’étais en études supérieures. Une de ces éditions récentes, où le livre microscopique peut se glisser dans votre poche. Je déteste ce format, à la police hideuse et aux pages transparentes. Cette lecture fut pourtant une révélation : J’avais failli passer à côté d’un chef-d’œuvre. Aujourd’hui, je défends corps et âme ce bouquin, trop souvent comparé à de la chick-lit pour demoiselles en mal d’amour.

Unique roman d’Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent raconte l’histoire d’Heathcliff, orphelin recueilli par M. Earnshaw lors d’un voyage, et amené à vivre avec lui et ses deux enfants, Hindley et Catherine. Une haine terrible déchire Heathcliff et Hindley. Et lorsque le père de famille meurt, Hindley reprend les reines et transforme la vie de l’orphelin en un cauchemar quotidien. Une vie d’humiliations et de tortures qu’il ne supporte qu’avec le soutien de Catherine, avec laquelle il noue un amour profond. Une romance qui, si elle se jouera du temps et du destin, ne sera pas de tout repos.

« Je me brisais le cœur à pleurer pour retourner sur la terre et les anges étaient si fâchés qu’ils me précipitèrent au milieu de la lande, sur le sommet des hauts de Hurlevent, où je me réveillais en sanglotant de joie. »

Si Emily Brontë dépeint bien une histoire d’amour passionnelle et destructrice, Les Hauts de Hurlevent reste surtout l’une des plus grandes histoires de vengeance jamais écrite. Le personnage d’Heathcliff est selon moi l’un des meilleurs personnages de fiction jamais créé, tant il incarne à lui seul la victime, le héros, le bourreau. C’est un livre cruel, où le bien et le mal n’ont plus leur place, et où chaque personnage commet des erreurs qu’il n’admet pas et s’embourbe dans des décisions qu’il ne comprend pas. Roman d’amour, me disent certains, je dirais plutôt roman de mort, car c’est elle qui est omniprésente dans la narration.

Comme dans mon bien-aimé Orgueil et Préjugés, l’histoire est un prétexte à un gros travail sur la psychologie humaine et les travers de l’homme. Seulement, Orgueils et Préjugés est un roman doux et romantique. Les Hauts de Hurlevent est brutal, viscéral. Heathcliff est rongé par le chagrin. Ses actes ne sont plus régis que par une haine démesurée. Catherine est un personnage tout aussi fascinant, aux sentiments si variés et profonds qu’il me serait impossible d’en parler sans écrire vingt pages (et sans spoiler complètement l’intrigue). Dans ce sombre manoir où le vent murmure de terribles secrets, au milieu d’une lande inquiétante et sauvage, la limite entre l’amour et la haine est plus fine que jamais.

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